jeudi 17 mars 2011

DÉGÂTS DES EAUX


LO N°437 (17/03/11)
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Vendredi 11 mars… et la suite.
— Un violoncelliste a frappé le Japon.
— Ah non, pardon : un violent séisme.
Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas eu droit à une bonne catastrophe naturelle. Images filmées d'hélicoptères – très réussies – en direct sur toutes les chaînes. Et comme pour chaque évènement, son cliché langagier. Là, c'est "…emporte tout sur son passage."
Enchaînement fatal : tremblement de terre (ou séisme), raz-de-marée (ou tsunami), catastrophe nucléaire (ou… rien du tout… rien d'autre que "catastrophe nucléaire").
Tchernobyl, on avait découvert le fait accompli. Là, on a droit au feuilleton à suspense, catastrophe au ralenti suivie heure par heure, face caméra. Et la météo, une passion bien française, un peu dérisoire, souvent… la météo de la zone japonaise devient un enjeu mondial.
L'actualité japonaise nous rappelle (une fois de plus) qu'il n'y a plus de catastrophes naturelles – de catastrophes qui ne soient que naturelles. Voici que ce pays, l'un des plus "avancés" du monde exhibe sa fragilité, la "faillite des grands systèmes" que dénonçait déjà Roberto Vacca ("Demain le Moyen-Âge", Albin Michel, 1973 – Voir plus loin un extrait). En quelques jours, il n'y a plus d'électricité, plus d'essence, plus d'eau, plus rien à bouffer, et ça meurt de partout. En quelques jours. Et sans compter les irradiations… Avec les boucles paradoxales inévitables : les pompes sont en panne parce que noyées par le raz de marée… On ne devrait pas manquer d'eau, pourtant… On manque d'électricité ? C'est que la centrale est à l'arrêt. Tout ça se mord la queue…

Le Japon, on l'a depuis longtemps montré comme l'image de notre avenir. Un avenir urbain hyper-technologique. Depuis quelques années, on le voit en décroissance démographique, devenant pays de vieux, et en récession industrielle et économique : nouvelles images de notre avenir : le premier pays à entrer dans la post-modernité, la décroissance – tant mieux, avenir difficile à vivre certes, mais passage obligé pour l'espèce, si elle veut continuer. Mais voici maintenant une nouvelle image : le premier pays à entrer dans l'apocalypse = révélation.
Révélation ? Mais depuis le début du nucléaire civil, on a crié à la folie. Et en particulier pour le cas du Japon : construire des centrales nucléaires en zone sismique est de la folie pure et simple, on le sait depuis ces 40 ans. On le savait, on n'y croyait pas, ainsi en va-t-il de notre approche des catastrophes possibles et probables. Maintenant on le sait-voit-vit, on va être bien forcé d'y croire. Va-t-on redoubler de précautions, corriger le tir………?
Qu'est-ce qui est "indécent" ? Profiter de la catastrophe pour relancer la question du nucléaire en France, c'est-à-dire exiger un débat suivi d'un référendum… Ou "profiter" de la catastrophe japonaise pour un "retour d'expérience" sur nos propres centrales nucléaires françaises et européennes ? Ces deux options sont logiques et valables, aucune n'est "indécente", aucune n'exclut la compassion et l'aide au peuple japonais dont nous pouvons admirer le "fatalisme actif". Arrêtez vos sonneries !

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C'EST COMMENT QU'ON FREINE ? (Alain Bashung)
"Rassurer", disent-ils. Mais la question n'est pas là : ni les Japonais ni nous ne sommes des bébés à câliner, à rassurer. On veut être informés et on veut des mesures. La peur…? Question médiatique récurrente : faut-il avoir peur du nucléaire ? Bien sûr qu'il faut en avoir peur. Comme il faut avoir peur de la guerre – pour éviter de la faire… des inondations – pour éviter de construire sa maison en zone noire… des feux de forêt – pour éviter de faire le barbecue dans la pinède. Il faut avoir peur du nucléaire, pour prendre un maximum de précautions avec ce qu'on a déjà et qu'on ne peut pas ne pas avoir, comme ça, d'un coup de baguette magique… et cesser de se dire condamné au nucléaire pour travailler à en sortir tranquillement, raisonnablement, sur 20 ans, avec un programme à la fois d'économies drastiques d'énergie et de volontarisme industriel sur les énergies renouvelables.
Vive le retour à la bougie !
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* Extraits de « Demain le Moyen-Âge »
de Roberto Vacca
(Albin Michel 1973)
(Chapitre 10 - La conjuration des systèmes urbains, pp.136 ss)
Cependant, la probabilité pour qu'une crise se produise est élevée et elle ne cesse de croître, tant à New York que dans toutes les agglomérations à forte densité. Voici une des façons dont pourrait se dérouler la catastrophe. 
Tout pourra commencer avec la simple coïncidence d'une paralysie du trafic routier et du trafic ferroviaire. En conséquence, l'heure venue de la relève au service du contrôle de la navigation aérienne dans deux grands aéroports, le personnel frais n'arrive pas. Les contrôleurs qui travaillaient déjà dix heures par jour six jours dans la semaine, continuent d'assurer le service, suivant deux appareils par minute sur les écrans radar, les guidant à l'arrivée et au départ en s'efforçant d'éviter les collisions. Vers la dix-neuvième heure d'un service presque continu, la capacité d'attention d'un aiguilleur du ciel, à la tour de contrôle de l'aéroport O'Hare à Chicago, faiblit sans que l'homme, mort de fatigue, s'en aperçoive. Le contrôleur commet une faute grave. 
Un quadriréacteur sur le point d'atterrir entre en collision avec un DC-9 qui vient de décoller et les deux appareils enchevêtrés atteignent en tombant une ligne électrique à haute tension. 
La charge de la ligne coupée est instantanément répartie entre d'autres lignes déjà surchargées. Les sécurités fonctionnent automatiquement et, suivant un processus en chaîne, tout le réseau électrique de l'lllinois, du Michigan, de l'Ohio, de la Pennsylvanie, de l'Etat de New York, du Connecticut, du Massachusetts est mis hors service.
Mais, cette fois, le black-out sera prolongé : il durera des jours et des jours. 
C'est le mois de janvier. La température est de 15 degrés au-dessous de zéro. Il recommence à neiger et les chasse-neige ne peuvent entrer en service, car les rues et les routes sont bloquées. De nombreux automobilistes consomment toute leur essence en faisant tourner le moteur de leurs voitures à l'arrêt, prises dans l'embouteillage. Impossible de refaire le plein d'essence, car les moteurs électriques des pompes ne fonctionnent plus. Beaucoup de conducteurs abandonnent leurs voitures, contribuant ainsi à rendre les embouteillages plus inextricables encore. 
Les trains ne circulent pas et de nombreux employés se voient obligés de camper dans leurs bureaux, où, pour se réchauffer, ils allument des feux. Des incendies éclatent, qu'on ne peut éteindre, car les auto-pompes des pompiers ne peuvent passer dans les rues engorgées par le trafic paralysé. Il se produit des scènes de panique et quelques milliers de personnes - les premières - perdent la vie. 

L'aube glacée du lendemain trouve la situation inchangée. Cinquante millions de personnes sont abandonnées à elles-mêmes, sans approvisionnements et sans informations. Tout le monde essaie de téléphoner et le réseau entier du téléphone se bloque. Beaucoup de gens, tentant de rejoindre à pied leurs familles, entreprennent une marche de quelques dizaines de kilomètres qu'ils seront incapables de terminer : certains meurent dans la neige, d'autres demandent asile à qui ne peut le donner et recourent à la violence, ou se heurtent à des réactions violentes. Quelques dizaines de milliers d'armes à feu parmi les dizaines de millions qui sont, aux Etats-Unis, en possession des particuliers, commencent à entrer en action. 
Les mesures d'urgence et de remise en ordre ne peuvent être prises, en particulier parce que la paralysie des transports empêche le personnel compétent de se rendre sur les lieux de travail. 

Le deuxième jour, l'état d'urgence est proclamé et les forces armées assument tous les pouvoirs civils. La paralysie des aéroports empêche de recourir aux ponts aériens pour suppléer les ravitaillements assurés d'ordinaire par le rail et par la route. On fait appel aux hélicoptères militaires, mais leur capacité se révèle vite bien inférieure aux besoins. 

Le troisième jour, commence le pillage des supermarchés : la troupe tente de les réprimer et quelques centaines de personnes trouvent la mort dans ces troubles. 
John Doe s'aperçoit qu'il est totalement impréparé à ce genre de situation. Ses deux bougies sont consumées et tous les appareils électriques dont la maison était remplie sont arrêtés et inutiles. 
José Gutierrez, le Portoricain, se trouve beaucoup plus à son aise. Son niveau d'existence est plus bas et les nouvelles conditions ne sont pas particulièrement éprouvantes pour lui : il n'a jamais eu le téléphone et il est habitué à avoir l'électricité fréquemment coupée faute de paiement. Aussi, son logement est-il équipé pour fonctionner dans des conditions réduites et primitives. Depuis toujours, il est habitué à vivre dans une situation plus compétitive et plus violente. Ce sera José qui assommera John Doe pour s'assurer la possession de quelques bouteilles de gaz liquide. Ce sera José qui survivra.
Le nombre des individus morts de froid et de faim sera cependant bien supérieur à celui des victimes d'actes de violence. Une contribution notable au bilan total sera fournie par le nombre des décès survenus dans les hôpitaux. 
Au cours des deux semaines que durera la crise, quelques millions d'humains périront. 
Puis les choses se remettront en mouvement, mais la reprise sera lente et les niveaux d'existence seront beaucoup plus bas que précédemment. 
Le long arrêt des centrales thermiques, des industries et des moteurs à combustion interne a pour effet une brusque diminution de la pollution atmosphérique, mais l'impossibilité où l'on est de faire disparaître rapidement quelques millions de cadavres fait regretter les brouillards de smog. La détérioration des conditions hygiéniques favorise la diffusion d'épidémies qui causent de nouvelles pertes humaines. 
L'apparition d'un ultime fléau est décisive : il s'agit de la peste bubonique, qui tue la moitié de la population restante. 
(...) Etc.
« Plus rien ne s'oppose à la nuit… » comme disait encore Alain Bashung.
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Et avec ça, voilà qu'on n'aura même plus le droit de soigner les irradiés avec des plantes !
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RIEN A VOIR (QUOIQUE…)
Un nouveau site collectif
choeurs-de-citoyens.svetambre.org
initié par Lucie Chenu, bien connue dans le petit monde de la SF française.
Images, vidéos, textes de "fiction?" (le ? a son importance), témoignages et autres, autour de "Liberté, Égalité, Fraternité". J'en suis, avec des textes "prises de tête" (considérations semi-intellos sur l'usage de cette devise de la République), accompagnés de dessins, quand même.