lundi 20 février 2012

DIOGÈNE ÉTAIT UN PUNK À CHIEN


LO N°468 (20 février 12)
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LE MARCHÉ
Qui est "le Marché" ? Ou "les marchés" : la différence…? C'est un peu comme quand on dit soit "Dieu" – avec majuscule monothéiste – soit "les dieux"… c'est-à-dire en fait pas d'autre différence que typographique, il s'agit toujours d'une entité incontrôlable plus grande que nous, qu'elle soit individuelle ou collective. Une chose anonyme, sans visage, monstre que j'ai dit acéphale mais qu'on peut dire aussi bien polycéphale… aux multiples têtes, toujours prêtes à repousser quand on les coupe, comme l'hydre de Lerne (mythe grec) : il faut les couper toutes en même temps. Un "on" sans nom. Son nom est personne – ou tout le monde. Main invisible, main aveugle main de (dame de) fer dans un gant de soie. Animé par des mouvements de masse, un fluctuant collectif, comme un banc de sardines ou un vol d'étourneaux. Pas de complot, pas besoin de complot. Le banc de sardine n'est pas dirigé secrètement par une entité occulte, genre douze sages de Sion, Illuminati ou Francs-Maçons. Le Marché EST l'entité occulte. Il est comme Dieu en ce sens qu'il explique tout… et qu'il n'existe pas.
Le Marché est une mécanique collective qui ne veut rien, ne décide rien, mais qui réagit à la milliseconde à tout et n'importe quoi (le battement d'ailes d'un papillon en Amazonie…), pas plus rationnel que le banc de sardines. L'appellation d'"intelligence collective" est un oxymore ou un abus de langage. Il n'y a pas d'"intelligence" au travail, là, pas plus que dans une forêt en tant que milieu écologique hypercomplexe. Il y a syntonie, synergie, millions d'ajustements réciproques instantanés. Le Marché est un espace/temps d'actions/réactions. Se soumettre aux "lois du marché" (qui n'existent pas), c'est comme se soumettre à "Dieu" (qui n'existe pas) ou aux "lois" (qui n'existent pas) de "la nature" (qui n'existe pas).
Le Marché ne veut rien, ne pense pas, ne décide de rien, pas plus que la Nature (ou nature) ne décide d'un orage ou d'un tremblement de terre, pas plus que le pôle magnétique nord ne décide d'attirer l'aiguille de la boussole. Phénomène et combinaison de phénomènes entrecroisés, interconnectés, interagissants dans tous les sens à toute blinde. Si vite et si multiplement que la vue se brouille, que l'analyse est impossible, le "qui c'est qui a commencé" est indéterminable, de même que "qui fait quoi à l'instant T".
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LE CHAOS
Par contre l'individu, dirigeant ou vulgum pécus, craint le marché, les réactions du marché Comme on craint la nature ou les dieux ou Dieu et ses voies impénétrables. Un individu connaît son chien-individu, mais il craint (à juste titre) ce qui se passerait si son chien était tout à coup jeté dans un élevage de trente chiens inconnus. Un loup ne fait pas forcément peur, mais une meute…
UNE sardine ou UN étourneau sont sans danger, car prévisibles. Le banc ou le vol sont imprévisibles. Ils forment une entité sans pensée, sans morale, sans responsabilité, comme un nuage, conjonction de milliards de milliards de gouttes d'eau, combinées avec des milliards d'éléments incontrôlables : altitude, vent, soleil, poussières atmosphériques, magnétisme terrestre, passage d'avion ou d'un vol d'étourneau, battement d'ailes de papillon(s). On ne peut en tirer des vérités (de la prévisibilité) que statistiques, des probabilités, à condition d'avoir une énorme quantité de données à compiler.
On est davantage dans la théorie du chaos que dans la théorie du complot. (Les théories du complot, comme les croyances en divers dieux, sont là pour nous rassurer face à la complexité indivisible, incompréhensible, incontrôlable du chaos. Elles donnent un sens à ce qui n'en a pas.)
Un système financier  composé de, mettons, quelques centaines de traders est (serait) maîtrisable, régulable, parce qu'il est la conjonction de quelques centaines d'intelligences individuelles. Ou il serait éliminable à l'aide de quelques bombes. (Du moins quand la Bourse était un bâtiment où ils se rassemblaient tous, maintenant, chacun chez soi dans sa salle de jeu avec son ordi portable et sa connexion Internet, c'est plus compliqué… faut envoyer des tueurs à domicile…) Par contre un vol d'étourneaux de quelques milliards de spéculateurs (ah oui, milliards, parce que chacun d'entre nous qui a un compte en banque est un spéculateur) n'est ni maîtrisable ni régulable ni éliminable.
Sauf…
Sauf si disparaît la peur.
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LA PEUR
Le Marché ne commande rien, c'est la peur (rationnelle ou non) des réactions du marché qui commande. Comme le tsunami ou le séisme ne commandent rien, mais la peur (rationnelle, raisonnable) du tsunami ou du séisme commande de ne pas bâtir dans une zone sismique ou inondable – particulièrement des centrales nucléaires. Par contre la peur d'une punition divine (sous forme de tsunami ou de séisme) qui commande de ne pas jurer par le nom de dieu ou de ne pas dévoiler ses "parties honteuses" – c'est cette peur-là qui n'est ni rationnelle ni raisonnable.
« Rassurer les Marchés » disent-ils. Mais les Marchés n'ont pas peur. Par contre, tel le banc de sardines ou le vol d'étourneaux, ils sont facilement en proie à la panique. La panique n'est pas la peur ou la crainte (individuels) mais un comportement de masse irrationnel qui se déclenche à la perception (nette ou floue) d'un danger (réel ou non), mouvement qui, une fois déclenché, se nourrit de lui-même.
Le Marché règne par la peur…? Non : ça c'est la formulation paranoïaque. Par contre, les dirigeants règnent par la peur du Marché (menace, épée de Damoclès – mythe grec). Ils ont peur et nous avons peur. Si nous ne nous décidons pas à avoir suffisamment peur (peut-être parce qu'on n'a pas que ça à foutre), ils se chargent de nous faire participer à leur peur. Eux, c'est la peur de perdre leur position (pouvoir, richesse)… mais nous, qu'avons-nous à perdre ? Nous les non-dirigeants, sans pouvoir, ou peu, ou de moins en moins, pauvres ou classes moyennes, comme on dit, ce qu'on a à perdre c'est notre capacité à consommer (le "pouvoir d'achat", seul pouvoir disponible, bien souvent), nos cadeaux de Noëls, nos gadgets, nos sorties en boîte… Plus grave : nos maison, habillement, voiture… Puis l'essentiel, le vital : de quoi bouffer et nourrir nos enfants, les soins médicaux… (C'est l'état où tombent les Grecs en ce moment même.)
S'ils arrivent à nous faire avoir peur de perdre ça, ils ont gagné. Et ils y arrivent par l'exemple, puisque nombre d'entre nous, pas seulement là-bas loin en Grèce, ont perdu/perdent/perdront ça. Sous nos yeux. Les exemples sont ici au coin de la rue ou sur les écrans de télé. (Mais à ce même coin de rue, sur ce même écran, s'étalent les publicités pour parfums de luxe – l'Or de Dior, j'adore – vêtements de luxe, voitures de luxe… avec des slogans allant jusqu'à "le luxe est un droit" – proféré par un Vincent Cassel tombé bien bas –, ce qui donne tout simplement envie de tuer.)
Donc, oui, nous avons peur, à juste titre, puisque l'exemple de la chute est près de chez nous et quotidien. Et parallèlement nous sommes en colère (latente) à cause de l'exemple du luxe indécent de la voisine ou les propositions de luxe de la pub. Supplice de Tantale (mythe grec). Double contrainte, mélange détonnant : le luxe et la richesse t'attendent // la misère t'attend. Nous nous retrouvons chiens de Pavlov soumis à deux injonctions  (ordres, conditionnements) contradictoires. Le résultat est une sorte de folie qui peut se traduire par une paralysie (comme celle des robots d'Asimov "freezés", coincés dans un conflit entre deux lois de la robotique), ou par un éclatement violent.
L'éclatement, le plus souvent, est individuel : maladie (et donc congé de maladie, ça fait du bien, calme, repos), voire maladie mortelle (cancer), suicide, assassinat de toute sa famille ou de son campus, terrorisme… ou combinaison de plusieurs de ces pratiques : il y a des suicides discrets, intimes, mais il y a des actes publics : pendaison ou immolation (incinération, holocauste) sur le lieu de travail ou dans la rue… et même l'attentat-suicide qui consiste à entraîner le plus possible d'autres gens dans sa propre mort. Suicide-agression qui se veut acte de combat, mais alors combat désespéré, baroud d'honneur.
La peur est à dépasser.
La tristesse autodestructrice est à dépasser.
Reste la résignation ou la révolte. Indignation, révolte individuelle et/ou collective : alors émeute, révolution. Mais possible aussi l'engagement et le lent et dur travail de transition.
On peut ainsi revenir à la Grèce où les suicides ont augmenté de 40% en six mois et où les rues brûlent/ront. Sont bien présentes les "passions tristes" : la peur, la tristesse autodestructrice, la résignation, la colère.
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DIOGÈNE ÉTAIT UN PUNK À CHIEN
Diogène était un "cynique", terme qui a changé de sens depuis – en mal. Lui, ça voulait dire qu'il vivait et souhaitait vivre comme un chien. Sa niche, loin d'être fiscale, évoquerait plutôt les cabanes SDF du bois de Vincennes. C'était un tonneau, dit-on. En fait une amphore géante, c'est plus d'époque et plus grec. Il avait, pour boire, une écuelle. Un jour, il vit un enfant boire dans ses mains. Il jugea que l'écuelle était inutile et la jeta. Il se nourrissait des oignons qu'on voulait bien lui donner. Il se masturbait tranquillement au soleil à l'orée de sa jarre. Ça devait sentir bon, le quartier, tiens ! On a beau être en Grèce antique, ça la fout mal.
Il avait quand même un bâton et un vague manteau, ainsi qu'une lanterne qu'il employait à "chercher un homme" – ou "chercher l'Homme".
Un jour, Angela Merkel (ou Alexandre le Grand, peut-être…) est passée par là et lui a demandé ce qu'elle pouvait faire pour lui, à quoi Diogène répondit « Ôte-toi de mon soleil. » L'amèreKel insiste : « Tu n'as donc pas peur de moi ? — Qu'es-tu, un bien ou un mal ? — Un bien, bien sûr, répond Angueula. — Alors pourquoi craindrais-je un bien ? » (Adaptez ça à votre gré au Marché, à l'EU, au Bon Dieu…)
Enlevé par des pirates lors d'un voyage en mer, et devant être vendu comme esclave, il déclare à l'employé du pôle-emploi qui l'interroge sur ses capacités, qu'il sait gouverner les hommes, et que donc il va falloir le vendre à quelqu'un qui cherche un maître. (C'est son côté précurseur de La Boëtie et son Discours sur la servitude volontaire…)
Il finit à 86 ans, soit, selon les versions, d'une infection due à la morsure d'un chien à qui il voulait piquer son os (L'os-térité…), soit en tentant d'avaler, faute de couleuvre, un poulpe cru, soit en s'empêchant volontairement de respirer. Il souhaitait que son corps fut jeté aux ordures, mais ses amis (eh oui, il en avait) lui firent une belle tombe et y firent graver ces vers :
« Même le bronze subit le vieillissement du temps,

Mais ta renommée, Diogène, l'éternité ne la détruira point.

Car toi seul as montré aux mortels la gloire d'une vie indépendante

Et le sentier de l'existence heureuse le plus facile à parcourir. »

John Waterhouse

Plus réaliste : Jules-Bastien Lepage



1 commentaire:

Anonyme a dit…

NON!non,non et FAUX.Diogène de Sinope n'était pas "punk à chien"!
Pourquoi pas Épicurien tant que vous y êtes.