lundi 30 avril 2012

BOURDIEU ENCORE


LO 476 (30 avril 2012) – (BOURDIEU ENCORE, puis quelques petites choses)
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GENÈSE DE L'ÉTAT
Dans le second article de Bourdieu, on revient un peu en arrière en évoquant la genèse de l'État et, partant, la genèse de "l'homme public", celui qui parle. 
L'État est décrit comme, au sein du monde social englobant, un champ social particulier au sein duquel se joue un jeu social particulier, le politique légitime. L'État crée les règles du jeu : l'usage de la rhétorique, la théâtralisation. L'homme d'État parle au nom du bien public, ce faisant il se l'approprie. Le parleur a le privilège de l'universel et ainsi monopolise l'universel. C'est déjà un processus de concentration. Concentration des ressources, de l'information, de la langue… et, partant, processus de dépossession : constituer une ville comme capitale (tête) concentrant le capital, c'est constituer la province comme dépossédée de capital. La langue française est à Paris, les autres sont des patois. Constituer la France, c'est déposséder les Provinces. Constituer l'Europe, c'est déposséder les Nations. (Ceci est comparable au mouvement des religions vers l'Universel (le Dieu unique). L'universel devient totalitaire, centralisateur. Paradoxalement, l'Universel s'exprime dans l'Unique. Dieu (le dieu unique) est le Roi, le Seigneur universel ; les incroyants polythéistes sont des païens, mot qui à la base signifie paysans. Il y a un parallélisme, voire une coïncidence historique, entre la démarche monothéiste et la démarche étatique centralisante.)
Ainsi la culture sera légitimée (légalisée) par l'État (institutions, diplômes, titres…) Concentration, cristallisation.
LOCAL vs UNIVERSEL
Là où il y avait du local, divers, dispersé, advient de l'unique, unifié, universel (prétendant à l'universel). Créer le système métrique universel, c'est unifier (étalon), cela facilite les échanges, le commerce, comme la langue unique, comme la monnaie unique. Mais les savoirs locaux, devenus folkloriques, sont disqualifiés. Gagnant en universalité, on concentre l'universalité… et certains monopolisent l'universalité. Ceux qui, révolutionnaires, ont monopolisé la lutte pour l'universel peuvent maintenant monopoliser l'universel. Du petit marché local, on passe au grand marché national. La prétention à l'universel de cette culture monopolisatrice la rend intouchable : on ne peut pas l'accuser d'être particulière ou "communautariste". (C'est le problème de la religion monothéiste et de sa prétention à l'universel. C'est de même le problème de "la science" et de sa prétention à l'universel.)
Ainsi, sur le petit marché endogame de province, le péquenaud du coin est dévalorisé par rapport au bourgeois venu de la capitale (ou même seulement de la ville voisine) ou à l'étudiant, voire à l'étranger (s'il est de provenance "supérieure", américain et non immigré arabe). La fille se faisant "enlever" à la ville accède à l'universel. Mais du coup c'est toute une classe sociale locale qui ne peut plus se reproduire.
On s'incline devant la force de l'Universel, venant de la ville, de la capitale-tête, des savants, l'universel mis en discours bien tourné, méthodique, du domaine de la théorie ou de la méthode et non du domaine de la pratique pragmatique de tous les jours, considérée triviale. On devient ainsi provincial, local, folklorique. L'État est devenu le lieu de gestion de l'Universel, monopolisateur de l'Universel et habitat de ceux qui monopolisent l'universel.
(Là, j'extrapole.)
Curieusement, nous restons adorateurs de la concentration. Tout le monde se désole quand une province fait sécession, un pays menace de se diviser (Mali, Syrie, Kurdes, tribus libyennes, Belgique… Europe…?) La balkanisation, c'est le mal, la décadence, la rechute dans le provincial folklorique, dans le petit, dans le paysan. Nous aimons le "grand". Nous gardons une habitude de pensée qui veut que croître, c'est mieux, donc réunir les petits dans une grosse unité, c'est mieux, que La France, c'est mieux que six Provinces. Plus on est grand, plus on est fort. Force démographique : plus on est nombreux, plus on est fort. (Il faut croire qu'on pense encore en termes de concurrence guerrière : un pays plus grand est susceptible de lever une plus grande armée.)
Ça a sans doute à voir, encore une fois, je me répète, avec le monothéisme, l'évolution des peuples vers l'idée d'un dieu unique, plus costaud qu'un tas de petits dieux locaux folkloriques.  On se laisse impressionner par la puissance du regroupement, de la centralisation. L'Europe Unie serait plus forte face aux Etats-Unis ou à la grosse Chine.
Néanmoins, bien sûr, la subdivision en unités territoriales plus petites, provinces, régions, pose des questions de survie économique : une région ne possède pas forcément et du fer et du blé… Mais le fédéralisme répond peut-être à la question. Entre l'assimilation de peuples disparates dans un grand État monopoliste et un puzzle de petits États concurrents, il y a le fédéralisme. Chacun garde son indépendance mais on mutualise certains besoins, certains moyens. N'est-ce pas ainsi que fonctionnent les USA, les Lander allemands, ou des pays multilingues comme la Suisse ou la Belgique ?



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LA FONTAINE ET LE ROUSSEAU
Il me semble bien incongru de vouloir distinguer ou opposer puissance et pouvoir. La puissance qui est force de vie, élan vital, désir de durer (le conatus de Spinoza), suppose le pouvoir et la domination : parce qu'il faut manger. L'agneau, mangeant l'herbe du pré, la domine, lui impose son pouvoir (herbe qui n'est pas une chose mais un vivant qui a "le droit de vivre", non ?). Le loup mange l'agneau et donc le domine, lui impose sa loi. Ce n'est pas méchanceté et appétit de pouvoir mais appétit tout court : il a faim.
La Fontaine était un réaliste pessimiste : ses fables, sous couvert d'histoires animales "pour les enfants", montrent les hommes "comme ils sont", ne cachent rien de la vilenie humaine, des systèmes de pouvoir, de domination, de rivalité. Rousseau lui, serait un optimiste. Et naïf. Rousseau c'est l'agneau de la fable, qui croit l'homme né "bon" alors même qu'il piétine et dévore férocement l'herbe du pré. Rousseau, c'est l'agneau que le loup (tout aussi "né bon") va croquer.
Evidemment, nous humains ne nous mangeons pas (pas trop) les uns les autres et par ailleurs avons inventé des tas de concepts originaux et créations sociales originales : la fraternité, la morale, la justice, l'égalité, les lois…
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CHOMSKY se bagarrait contre la fabrication du consensus
Linguiste honoré, analyste des médias, il dénonce ceux-ci en tant que fabricants du consensus. Les médias l'accueillent… On pourrait dire qu'il profite de sa notoriété de linguiste pour avoir accès aux médias. Là, il peut les dénoncer. Il se sert des médias pour dénoncer les médias. N'y a-t-il pas là un paradoxe ou un piège ? (Mais comment faire autrement ?) Les médias, l'accueillant, ont beau jeu de lui rétorquer : « Vous voyez bien que vous n'êtes pas bâillonné, que vous êtes libre de vous exprimer, et que donc votre critique des médias est injustifiée. » Alors pourquoi y aller ? C'est qu'en refusant, il apparaît comme celui qui refuse la parole qu'on lui offre. En acceptant, il joue le jeu des médias, il se plie au système qu'il dénonce. Piègé !
Comment sortir de ce piège ? peut-être en s'exprimant dans d'autres médias, en particulier où il n'aurait pas à être invité, accueilli, admis.


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