mardi 8 mai 2012

SACRIFICE


LO 479 (8 mai 2012)
••••••••••
Evidemment, il a fallu que je tombe sur un autre article "dans la lignée des précédents" : "Aux sources morales de l'austérité", Mona Chollet, Le Monde Diplomatique de mars 2012.
"Dans la lignée", parce qu'elle va elle aussi chercher dans la religion les sources du capitalisme et de l'état de crise actuel.
••••••••••
SACRIFICE
« Rigueur, austérité, efforts, sacrifices, discipline, règles strictes, mesures douloureuses… à force d'assiéger nos oreilles de ses fortes connotations moralisatrices, le vocabulaire de la crise finit par intriguer », commence-t-elle. Et elle relève ainsi nombre d'usages de ces termes christiano-moralisants dans le parler politico-économique de l'Europe en crise financière. Nous aurions à payer pour les péchés de ces dix dernières années, nous serions punis pour des années de folie dépensière, d'imprévoyance. (Moi qui disais dans une LO précédente, via Walter Benjamin et Giorgio Agamben, que le capitalisme ne pratiquait pas l'expiation… et qui évoquerai bientôt la problématique du sacrifice pour la gauche…) Le schéma se dessine ainsi : en se permettant des années d'hédonisme, de paresse, d'insouciance (la cigale de la fable), nous nous sommes attiré une juste punition divine, les foudres de Zeus, ou plutôt les fléaux bibliques… Il nous faut faire acte de contrition et expier. Se serrer la ceinture, en revenir aux vertus traditionnelles, l'épargne, la frugalité. Pétain déjà entendait substituer "l'esprit de sacrifice" à "l'esprit de jouissance".
…Mais enfin, si nous avons bel et bien emprunté et dépensé pour des conneries, nous avons aussi espéré bien nous nourrir, bien nous soigner, payer pour une bonne éducation… Et quand on voit le nombre de gens qui, dans cette même période, ont été mal nourris, mal soignés, mal éduqués, on se dit "mais que s'est-il passé, sommes nous si coupables, n'avons nous été que des consommateurs crétins et imprévoyants ?"
… Et puis les "cures de patate" (Danemark) ou la destruction de tous les services publics, baisse des salaires, des retraites, etc. (Portugal, Grèce, Espagne) se traduisent par explosion du chômage, pertes de logements, « un sociocide pur et simple »…
••••••••••
APRÈS LA DETTE, LA DIÈTE (dite aussi "cure d'austérité")
… Ça se sait maintenant, même en hauts lieux européens, que la cure en question est en train de tuer le malade, et pourtant les appels à la contrition continuent, l'invitation au labeur, à l'abnégation, à la mortification. Ils servent évidemment les intérêts des dominants : il s'agit d'en finir une bonne fois avec les acquis sociaux de l'après-guerre. Mais au delà du cynisme bien connu, et à cause du vocabulaire employé, de la passion punitive qui semble animer les donneurs de leçons, on en vient à penser qu'il y a autre chose en dessous : une sorte de terreur superstitieuse face aux revendications du peuple à vivre bien… comme un vieux substrat culturel judéo-chrétien et plus précisément protestant réformiste qui s'exprime. Il ressort une sorte de "jubilation morbide" de ces appels au sacrifice, à la "purification", un peu comme on disait parfois "il leur faudrait une bonne guerre". Pétain, encore lui, disait aussi que « depuis Adam, le châtiment est un appel au relèvement, une promesse de régénération. » De nouveaux imprécateurs appellent au repentir : la fin est là, vêtez vous de sacs, couvrez-vous la tête de cendre, vous l'avez bien mérité. « Le châtiment, le châtiment ! » comme clamait le prophète Philippulus dans Tintin, "L'Étoile mystérieuse".

Face à ce tir de barrage de la morale expiatoire, la réponse des indignés semble bien timide, comme si, quelque part, il y avait une résignation, comme si, sourdement, on se disait que oui, "on l'a bien mérité".
••••••••••
L'ORIGINE DU MAL
Selon Max Weber (1905) l'éthique protestante (puritaine) a contribué à mettre en selle le capitalisme en façonnant un "esprit" favorable, esprit qui perdure hors de tout référent religieux, bien incrusté dans la mentalité collective d'Europe du nord et des USA. Dans le catholicisme, l'ascèse restait confinée dans les couvents. Avec le protestantisme, elle en est sortie : « Soumettant chaque aspect de leur vie à une discipline stricte, les fidèles investirent toute leur énergie dans le travail, quêtant dans le succès économique un signe de leur salut. La fortune cessa alors d'être condamnable – bien au contraire. Seul le fait d'en jouir était répréhensible. » Le "devoir professionnel" prolonge et remplace les croyances d'autrefois, secrètement. Le travail devient une fin en soi, une valeur, une vocation – le mérite à la clef. Et réciproquement, la paresse, profiter de la vie, perdre son temps… sont péchés damnables.
Comme disait je ne sais plus qui, « La religion est comme un vieux chewing-gum. Même si vous n'en voulez plus, elle se colle sous vos semelles. »
Laïcisons nos esprits.

Aucun commentaire: