mercredi 25 juin 2014

EN QUEL ÉTAT J'ERRE ?


(Et, en passant, interdiction totale de la question "pourquoi je vis ?" !!!)
La question philosophique de "ce que je suis" ou "c'est quoi, moi ?" est une mauvaise question. "Ce que" ou "quoi" supposent une chose, une substance. Se demander plutôt "comment je suis ?" ou "que suis-je en train de ?" ou "comment deviens-je ?", ou "quel acte suis-je ?", c'est-à-dire des formule qui, maladroitement, je le reconnais, tentent de désigner de l'exister (verbe actif) plutôt que de l'être (verbe sinon passif, du moins statique, état plutôt que acte), évoquer de l'activité plutôt que de l'essence, de l'acte plutôt que de la substance. (Bergson, par exemple, bien après Spinoza et bien avant moi, rejette la substance (le moi en tant que substance) au bénéfice du devenir. Le devenir dissout l'Être et l'Absolu.)
Il n'y a pas de "moi", donc, de chose-moi, de substance, mais un processus durant ("en train de–") qu'on appelle "moi" pour des raisons pratiques. L'existence est un processus qui dure et qui fait.
Le Moi-Sujet. Grammaire : le sujet dans une phrase est ce qui fait, ce qui anime le verbe. La source du faire. Je suis ne veut pas dire grand chose. On se trompe dès qu'on veut être, dès qu'on veut que le sujet soit sujet du verbe être, dès qu'on parle de l'être (ou pire : de l'Être). Sur être il n'y a rien à dire. Tout est. N'importe quoi est. C'est la moindre des choses. Pure évidence, pure tautologie. Qu'est-ce qu'une chose (au sens le plus large, caillou comme théorie) pourrait bien faire d'autre que "être", à la base ? Si quoi que ce soit n'est pas, il n'existe pas = rien à en dire. On ne pourrait même pas l'évoquer, l'imaginer. Le néant, ça n'existe pas. Que pourrait-on bien dire de rien ? La question ne se pose même pas. Sur le non-être, aucun mot, aucune pensée, par définition. Sartre a perdu son temps avec son "L'Être et le néant" écrit sous amphètes, et nous fait perdre le nôtre. Quant à "l'existence précède l'essence", faux problème, même si c'est déjà une amélioration par rapport à une pensée traditionnelle qui nous suppose une essence idéelle, une âme immortelle, planant quelque part dans les cieux de la création divine et s'incarnant un beau jour dans l'existence physique.
— Pourtant, ce que tu racontes, c'est un peu de l'Existentialisme sartrien, non ? On peut le citer : « Il n'y a de réalité que dans l'action… […] L'homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie. »
— Oui mais non. Simplement, je me passe de la formule "l'existence précède l'essence", parce que je me passe de l'essence, qu'on la situe avant ou après. Il n'y a QUE l'existence. Il n'est rien qu'on puisse définir comme essence ou être. (Et encore moins avec des majuscules.) Sinon, il faudrait dire que l'essence (sartrienne, provoquée par l'existence) ne serait que le résultat de toute vie en sa fin : le cadavre et les œuvres.
— C'est pessimiste, voire nihiliste.
— Au contraire ! C'est optimiste, mais avec énergie. Sartre parle de dureté optimiste. Une sorte de volontarisme kantien.
(Tiens ! Un souvenir de jeunesse. Oral du bac philo. L'examinateur me donne un sujet sur Kant. Je bute un peu et je lui explique qu'avec notre prof, Monsieur Pépin, on a particulièrement préparé l'Existentialisme. Et là il me fait un exposé de vingt minutes pour me montrer le lien entre Kant et Sartre. Après, il se met une bonne note.)
L'Existentialisme de Sartre ne nous laisse rien passer, il nous impose un MOI autonome, conscient, il nous force à la liberté active et, partant, à la responsabilité, à l'engagement dans les œuvres. On ne peut plus se permettre de mauvaise foi, prétexter qu'on a hérité d'un tempérament faiblard, d'un ADN pourri, de parents castrateurs, de mauvais profs ou de "pas de chance" – ou qu'on n'a pas fini sa psychanalyse. On ne nait pas héros ou salaud, mais on a tous les moyens, parait-il, de devenir l'un ou l'autre, et bien d'autres destins encore. « Il n'y a pas de doctrine plus optimiste, puisque le destin de l'homme est en lui-même. » C'est bien pour ça que "L'Existentialisme est un humanisme"… Comment pourrait-on accorder plus de dignité à l'homme, dit Sartre (à UN homme, dirai-je) qu'en lui disant : « Tu es responsable de ta vie ! »
Cela dit, je vais le discuter, le Sartre et son Existentialisme…


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