jeudi 26 juin 2014

La philosophie sans le bavoir


Jean-Paul Sartre : « Il n'y a de réalité que dans l'action… […] L'homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie. »
D'abord, c'est difficile à penser : le matérialiste pense corps, machine, matière, substance, chose… Le spiritualiste pense esprit, âme : des noms (substantifs)  qui évoquent aussi des substances, des choses, mais plus légères, transparentes, invisibles, venues d'ailleurs et destinées à repartir ailleurs… comme des fantômes.
Mais comment penser, dire, écrire, dans notre langage substantificateur, "les actes", les actions, le faire ? Non pas le résultat des actes, les œuvres en tant que choses (le tableau du peintre), mais le fait même de faire, le faire même (le peindre du peintre).
L'âme, c'est l'animation – le fait d'être animé. (Comme un animal…)
LE GENRE HUMAIN (Théorie du–)
La compagne de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir (dite Castor) nous dit « On ne nait pas femme, on le devient. » OK, on nait biologiquement femelle, on devient culturellement femme. Tout aussi bien, je dirai « On ne nait pas homme, on le devient. » : on nait biologiquement mâle, on devient homme (masculin) culturellement.
Pour aller plus loin, je pourrai dire qu'on ne nait pas humain, on le devient. Le petit d'homme est une sorte de singe nu, un primate primaire, mammifère, sexué, mâle ou femelle (ou un peu des deux), nanti de telle ou telle couleur de peau, de cheveux, d'yeux. Le biologique, le physiologique.  MAIS ce petit né hominidé a tout ce qu'il faut pour devenir un humain. Il n'est pas humain en substance mais en potentiel.
Potentiel qui ne demande qu'à se réaliser. (À condition quand même, cher JPS, que son milieu, son contexte lui en donne les moyens, comme le montrent les quelques cas d'enfants sauvages qui se montrent plus loups ou singes qu'humains. Mowgli et Tarzan sont des fables.)
Ceci va dans le sens de l'idée que "l'existence précède l'essence", que c'est le vivre qui nous fait.
Pourtant, Sartre semble ignorer le corps, la biologie, l'hérédité, l'enfance, l'éducation, même (les conditionnements sociaux) et tout le contexte social, politique. Sans parler de la théorie de l'évolution… Son "l'homme" (il emploie bizarrement toujours ce terme générique généralisant et vague, si bien qu'on ne sait jamais s'il parle d'un individu ou de l'espèce), son "l'homme" semble être né tout adulte, conscient et libre, sans aucun conditionnement, hors de toutes conditions sociales ou climatiques, sans passé ni contexte, comme un clone ou un robot. (J'imagine l'enfance de Sartre, enfermé dès l'âge de cinq ans à lire des bouquins, activité favorisée par un fort strabisme divergent lui permettant de lire deux pages à la fois.)
SARTRE SPIRITUALISTE ? IDÉALISTE ?
En ce sens, tout ce que je raconte ici sur le MOI s'oppose à cette simplification sartrienne, cette désincarnation qui nous ramène au "je pense donc je suis" de Descartes. Expression qui pour moi n'a aucun sens. Le fait de penser ne me fait pas exister. Le contraire serait plus vrai. Dire « Je pète donc je suis… » serait plus vrai. Le corps d'abord. Déjà, au lieu de "je suis", on doit dire "j'existe", dans la mesure où exister suppose l'inscription dans le temps : début, agir et fin. (Alors que "être" serait installé dans un absolu divin permanent, hors temps.) Quant au "je pense, donc –" … un animal, qui ne pense pas, ne "serait" pas ?! La bonne expression serait donc "j'agis donc j'existe", qui pourrait se réduire à la tautologie "je vis donc je vis". Ou peut-être mieux "Ça vit dont moi"…
(Je suis bien conscient de l'aspect ampoulé et difficilement utilisable dans le quotidien des expressions que je propose. Mais il est impossible de penser différemment des habitudes sans tordre le langage.)


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