jeudi 6 août 2015

AT HOME


Au commencement était l'atome.
Je veux dire LE atome : il n'y en avait qu'un. Un tout mignon atome d'hydrogène : un noyau composé d'un simple proton à charge positive et un électron (à charge négative) qui tournait autour. (Même pas besoin de neutron, à l'origine… Le neutron, par principe et comme son nom l'indique, reste neutre, soi-disant, mais on verra plus tard que le neutron est notre ennemi…)
À vrai dire, l'électron s'emmerdait un peu. Le noyau aussi. Tout l'atome, quoi, s'emmerdait. Il s'était autobaptisé Adam pour faire genre, ça l'avait occupé un moment, mais une nanoseconde, pas plus. Il se dit alors à lui-même « l'atome n'est pas fait pour vivre seul » et entreprit aussitôt de se fabriquer un complément élémentaire (une particule pour une partie de cul).
Concept. Il lui fallait un opposé/complémentaire, comme le préconiserait Jüng beaucoup plus tard, par exemple un anti-atome. Autrement dit un atome d'anti-matière (un anti-atome, c'est un atome chargé inverse : le proton est négatif et l'électron positif. Et le neutron reste neutre) ou un non-atome qu'il pourrait nommer "dame. Le " signifie non-A, mais c'est un peu trop sémiotique et pas très azertyuiope. Il s'arrêta donc sur Ève, plus commercial.
Donc voilà : on avait la matière A (ou Adam) et l'anti-matière non-A (ou Ève). Les deux se regardèrent un moment en chiens de faïence… puis en chiens de fusils… et se décidèrent enfin à copuler comme des particules dans un accélérateur. D'abord élémentairement, lui dessus, elle dessous. Puis, l'expérience aidant, selon les 118 positions du tableau périodique de Mendeleïev. Ils virent que cela était bon, et il firent beaucoup de petits atomes et anti-atomes. Un quark par ci, un boson par là, des boutons, broutons, ions, photons, fermions, fions, leptons et radions… Sans compter les classiques déjà cités : protons, électrons, neutrons. (Ainsi qu'un sournois, le neutrino, un peu rastaquouère et bien décidé à semer le désordre un peu partout.)
Au total : beaucoup.
Et quand je dis beaucoup c'est : un nombre infini. À la longue, ça a formé l'univers, c'est-à-dire les galaxies, les étoiles, les planètes, les salsifis, toi, moi… et ça continue. Un nombre d'étoiles infini, un nombre de salsifis infini, de toi, de moi, pareil : à notre échelle, 7 milliards = infini. (Sauf pour un économiste, qui en a vu d'autres.)
Les 7 milliards de toi et moi adorent les atomes. Ils en mettent dans des bombes (on commence toujours par là) A (comme Adam) ou H comme Hydrogène. (Ce qui nous ramène au commencement et dénote une certaine propension du rédacteur à se mordre la queue.) Ils en mettent aussi dans des cyclotrons, synchrotrons, radioscopies, scanners, etc.… Ainsi que dans des centrales nucléaires. "Nucléaires" dit-on ? Pourquoi pas "atomiques" ? À vrai dire, au début, on a parlé de "piles atomiques". Mais c'était un peu nul, à cause des piles Wonder. Et puis "atomique" ça évoque la bombe, et donc la guerre, et tuer des tas de gens dans d'atroces souffrances, et donc c'est sale. "Nucléaire", c'est pour fabriquer de l'énergie et des cancers de la thyroïde. C'est propre. Et puis ça a quelque chose de chic, scientifique, laboratoire en blouse blanche. L'atome, c'est un peu vulgaire, non ? Ça pourrait être un nom de fromage ou de barque à fond plat. Le nucléaire, ça évoque le noyau, donc le centre, la substance, l'amande, le cœur de la matière. C'est tout de suite plus noble. Et ça sonne un peu comme éclair ou éclairage.
Donc, c'est décidé : les bombes seront atomiques, les centrales seront nucléaires. Là encore, on se trouve face à des opposés/complémentaires : la bombe disperse, la centrale centralise (attention au sens politique induit : l'usage de l'énergie nucléaire suppose la centralisation, c'est-à-dire un gouvernement fort. Euh… la bombe aussi, en fait.) La centrale produit de l'énergie (c'est bien) E = mc2 qui permet de fabriquer des briques ou des briquets, des machines à laver, des écrans plats, des appareils de radiographie, et des montres à quartz. Plein d'autres choses aussi. La bombe elle, pète tout ça en petits et tout petits morceaux (particules) C'est ce qu'on appelle atomiser, ou pulvériser. Donc, il faut se remettre à en fabriquer (énergie). Fabriquer, détruire, fabriquer, détruire… Le grand cycle d'obsolescence programmée de la vie cacapipitaliste.
Et depuis, Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl, Fukushima (et quelques autres) sont installés à la croisée des chemins, comme des sphinx. Dans leurs sarcophages, sous leurs pyramides, symboles définitifs du principe d'incertitude qui désormais dirige notre être et notre ère, ils posent pour l'éternité devant les photographes et posent pour l'éternité des questions sans réponse…