samedi 27 janvier 2018

"ALONE ON MOON" / 9



Mange avec tes dents !
Un jour, j'ai diné dans le repaire des cannibales. Quand, pour faire comme eux, j'ai mangé un de leurs enfants, ils n'ont pas compris.
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(Écriture automatique ou autiste ?)
Quand le sens fuit, on ne s'en sort pas indemne, condamné au silence. Ça n'écrit pas assez fort, malgré l'aigreur du vide. Et pourtant quelque chose surnage, de sauvage, d'une poésie sans scrupules, isolée, dérisoire, volontiers méchante, indécente, allumeuse : c'est que je n'en veux nulle part venir. Je fais et vois, moi-même hagard et démonté aux fleurs de mai. Ébloui par la foudre absurde, sous les voiles d'absence, je laisse les mots s'adjoindre au papier, loin de moi, sans antennes, comme un mulot cylindré se glisse, antique, sous la porte de la bibliothèque du rêve.
Et le champagne déroule ses oracles.
Mais toujours sous le débile délire perce du sens indésirable. Le n'importe quoi lui-même n'est pas n'importe quoi. C'est pourquoi on l'appelle "n'importe quoi."
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« Ainsi dit Athéna, et la peur verte le saisit. » (Homère. L'Odyssée)
Sans fournir la moindre excuse ou explication, le soleil se couche dans une explosion de peinture. (Il ne faut jamais se moquer d'un coucher de soleil.) La nuit tombe, funèbre, et ne se relève pas.  L'obscurité se fait ténèbres sépulcrales. Hagard mais aux aguets, guetteur du vide astral où se murit l'amertume du feu, je joue au panoptique. Des lueurs transpercent le brouillard hirsute. Mais le jeu s'éteint avant l'aube. La surveillance a été levée. On en rêve encore – ensorcelé.
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J'aime bien dormir entre mes deux oreilles et rêver mes propres rêves.
Ève, Miss Terre, est imperceptible. Elle marche sur mes yeux sans les briser. Elle est électromagnétique, filtrée, inaudible. Voilà la dernière fée.
Son jardin est à fleur de peau. Il y pleure. Les chrysanthèmes des deux sexes s'y étreignent en sanglotant. La vapeur des roses s'y glisse hors de portée des quolibets. Les nains y fleurissent. Asphodèles, équivales, roses d'embrun le peuplent à l'ouest, péritoines et délicates à l'est. Les filles du nord somnolent dans son orangerie et la glaise est au sud, aux abords du marais. (Il serait imprudent d'essayer de le traverser pour atteindre l'ile noire : les sables acrimonieux et les boues sont avides, elles ne rendent que des os bien sucés.)
La belle échappée vient souvent dans mes nuits, avec sa chair féroce, ses bras silencieux, marchant à pas de mystère sur un fil d'argent. Ses seins imaginaires sont un outrage à la gravitation. Une lune à la place du cœur, elle déborde les ombres. Elle met ses mains silencieuses sur ma poitrine et ses mains y laissent des écritures blanches, comme des runes.
… Si la nuit te prend, te rendra-t-elle ? Et à qui ? Et quand ? Et dans quel état ?
Si c'est le lendemain, tout peut être différent : il peut se passer tant de choses au cours d'une nuit. Surtout entre le 28 et le 29 octobre, avec le passage à l'heure d'hiver. L'anticyclone peut être devenu cyclone. La télé peut programmer une nouvelle série policière nordique. À moins que ce soit la Corée nordique qui ait jeté une bombache sur Monsieur Troump. Nice peut avoir battu Metz à la pétanque joyeuse. Ta femme peut être partie avec son kiné Éric. Etc.
… Quand on se lève dans la ville infinie et qu'on rencontre ses rêves dans la cuisine en train de préparer le café ou dans la salle de bain en train de se raser les jambes, il vaut mieux retourner se coucher.
La vie mord.



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